Fakele et son Afghan Box sur le chemin de Stevenson

INTERVIEWPHOTOGRAPHIE ARGENTIQUE

Lise Longis

7/20/20259 min read

Photographe-artisan basé à Montreuil, Fakele explore depuis plusieurs années une approche profondément humaine et sensible de la photographie. Loin du numérique rapide, il préfère la lenteur, le papier, les échanges directs. À l’aide d’une « chambre de rue, aussi appelée Afghan box » une boîte en bois de 12kg permettant la prise de vue et le développement argentique en itinérance. Cette Afghan Box a été fabriquée sur mesure par un artisan français: RBV photographiste, Fakele sillonne les routes et les chemins, transformant chaque halte en lieu de rencontre.
Cet été, il se lance dans un projet ambitieux : Portrait d’un chemin, sur le chemin de Stevenson en tant que photographe ambulant durant lequel il réalisera plus de 400 portraits de marcheurs, développés et tirés sur place. Un projet à la croisée de la randonnée, de la photo argentique et du lien humain.
Avant son départ, il a accepté de répondre à quelques questions sur sa démarche, son matériel et ce qui anime ce projet


Lise Pour commencer, est-ce que tu peux te présenter brièvement ? Qui es-tu derrière @fakele ?

Fakele Je m’appelle Kevin Ingrez. Je suis le « Ke » de Fakele — c’est un nom qui rassemble les prénoms de mon frère, de ma sœur et moi : Fabien, Kevin, Lena. Ce pseudo, je l’ai inventé à l’époque où je travaillais comme éducateur de jeunes enfants, un métier que j’ai exercé pendant cinq ans. En parallèle, je faisais du collage analogique sur mon temps libre. J’utilisais mon vrai nom dans mon travail, et Fakele pour mon côté créatif, comme une sorte de double artistique. En 2018, j’ai décidé de faire une pause dans ma carrière pour me consacrer pleinement à l’expérimentation artistique… et finalement, je ne suis jamais retourné en arrière. Aujourd’hui, je suis artisan photographe à temps plein.

Lise Comment est née ta relation avec la photographie argentique ? Et pourquoi continuer à l’explorer aujourd’hui ?

Fakele Elle a débuté à cette époque, en 2016, quand j’ai intégré un lieu de vie et de résidence artistique à Ivry-sur-Seine (« Le Flot »), où j’avais un atelier pour mes collages. Sur place, il y avait un labo photo à l’abandon. J’ai commencé à expérimenter dans cet espace pour créer des œuvres plastiques, en jouant avec la chimie, la lumière, des négatifs d’anonymes, etc. J’ai donc commencé la photo par le labo, avant même la prise de vue.

Ma première vraie rencontre avec la prise de vue remonte à une randonnée en solitaire dans les Pyrénées, avec cette envie de me déconnecter. Je suis parti six jours sans téléphone, avec seulement un 35 mm (un Canon AE-1) prêté par ma copine de l’époque, et une seule pellicule de 36 poses. Ce choix réduit d’images, le fait de devoir sélectionner, de ne pas être trop gourmand, et de découvrir les photos plus tard m’a immédiatement séduit. C’est encore aujourd’hui ma manière d’aborder la photographie. Je suis un photographe qui prend très peu de photo.

"Je suis un photographe qui prend très peu de photo" 

Fakele

photo : Samir Slimane Embarek

Lise Tu travailles sur pas mal de formats, mais toujours avec un regard assez personnel. Comment décrirais tu ton univers photo ?

Fakele Tous les formats que j’utilise ont comme point commun la contrainte, justement. J’utilise du matériel exigeant, qui impose de la lenteur, de la concentration et de la parcimonie. Plus il y a de contrainte, plus ça me cadre. Je sais tout ce que je ne peux pas faire, ce qui ouvre les portes à tout ce que je peux faire.

Pour une série photographique ou un projet, je pars souvent d’une technique singulière, artisanale, que je mets au service d’un sujet. Je décide d’activer mon œil photographique que quand je le décide, et non en continu, comme peuvent le faire les street photographers ou les reporters.

Ce que j’aime dans l’argentique, et dans le fait d’être autonome sur toute la chaîne de fabrication d’une image, c’est la possibilité d’intervenir de manière artisanale à plein d’étapes de sa création : la prise de vue, le développement, le tirage, etc.

Mon dada, depuis un peu plus d’un an, c’est la colorisation de tirages argentiques à l’aquarelle. Une manière d’aller encore plus loin, puisque j’interviens sur l’image même quand le processus est censé être terminé.

Lise Parlons de ton projet « Portrait d’un chemin » Comment est née l’idée de documenter le GR70 / Chemin de Stevenson à travers des portraits argentiques ?

Fakele L’idée m’est venue alors même que je faisais cette marche, l’été dernier, à la même période. Comme à chaque fois que je pars marcher, je coupe mon téléphone et je documente uniquement en argentique. J’avais avec moi un moyen format (Fuji GS645). Au départ, mes photographies étaient orientées vers le paysage. Mais petit à petit, au fil des rencontres, elles se sont naturellement tournées vers le portrait.

Sur ce chemin, quand je parlais de mon métier de photographe, on me demandait régulièrement de faire leur portrait , pour garder une trace de ce moment hors du temps et du quotidien — des moments qui, pour certains, ont une forte portée symbolique.

Partir marcher sur un GR70, ce n’est jamais anodin : il y a souvent un besoin de couper, de se prouver quelque chose. Alors forcément, l’envie de garder une trace émerge.

J’ai donc imaginé une façon de proposer « ce service » tout en l’intégrant dans une démarche artistique. La logistique n’a pas été simple. Le projet a beaucoup évolué en un an, jusqu’à trouver sa forme définitive… quelques jours seulement avant de le lancer.

photo par Thibaut Godet
photo par Thibaut Godet

Ce que la randonnée et la photographie artisanale ont en commun, c’est cette envie de ralentir, de prendre le temps, de revenir à une forme de simplicité.

Lise Ce projet repose sur un rapport au temps : rencontre, pause, attente, retour. Pourquoi avoir intégré ce délai de remise des portraits ?

Fakele De manière générale, on apprécie toujours plus quelque chose — quel qu’il soit — quand on l’a attendu, désiré. Sa découverte a d’autant plus de valeur lorsqu’elle n’est pas immédiate.

J’aime nourrir cette idée que, malgré les nombreuses photos numériques que les randonneurs prendront tout au long de leur marche, la seule image qui restera — physiquement et symboliquement — sera celle que j’aurai réalisée d’eux, sur papier.

Et puis, même si je ne crois pas forcément à la notion de « mérite », quelque part, ils auront quand même marché quatre jours pour obtenir leur photo. En randonnée, on sait que tout a une saveur particulière quand on a dû se donner du mal pour l’obtenir.

À l’origine, ce projet était pensé comme une proposition gratuite pour les randonneurs, avec l’idée de le financer par des subventions (département, offices de tourisme, etc.) et un appel à soutien auprès du CNAP. Malgré ces démarches, aucun financement n’a pu être obtenu. Les portraits seront donc à la charge des randonneurs : en achetant leur portrait d’art, ils permettent à ce projet d’exister , ils contribuent non seulement à couvrir les frais liés au projet (matériel argentique, hébergement, transport…), mais soutiennent également cet artisanat.

J’ai reçu dernièrement un soutien de Lozère tourisme qui prennent en charges mon logement sur 1 étape et m’a mis en liens avec les médias locaux. Je suis encore aujourd’hui en train de rechercher ce type de partenariat.

Lise Tu dis que ce projet est à la croisée de la randonnée et de la photo artisanale. Pour toi, qu’est-ce que ces deux pratiques ont en commun ?

Fakele Ce que la randonnée et la photographie artisanale ont en commun, c’est cette envie de ralentir, de prendre le temps, de revenir à une forme de simplicité.

Quand je travaille dans la rue, notamment à Montreuil, c’est souvent difficile de faire arrêter les gens. Ils sont pris dans leur quotidien, dans leurs déplacements. La spontanéité est plus compliquée en ville. Prendre une pause, s’arrêter, discuter avec un inconnu… ça peut même susciter de la méfiance.

En randonnée, c’est tout l’inverse. On est beaucoup plus attentif à ce qui nous entoure, on s’émerveille de petits riens, on ralentit naturellement le rythme. Il y a une forme de plaisir dans la restriction : on cherche la simplicité, l’authenticité — des valeurs qui, pour moi, sont aussi au cœur de la photo artisanale.

Et puis surtout, en marchant, on est plus ouvert aux rencontres. On les attend, on les accueille avec beaucoup plus de disponibilité.

Lise Quel regard portes-tu sur l’évolution de la photographie argentique aujourd’hui ? Tu sens un vrai renouveau, ou plutôt de la nostalgie ?

Fakele Je suis très heureux de voir autant de passionnés graviter autour de l’argentique. À Paris, ou à Montreuil, c’est une vraie chance d’avoir autour de moi autant de personnes expertes dans leur domaine, avec qui échanger, apprendre, collaborer. Étant autodidacte, je me suis beaucoup nourri de toutes ces rencontres — et je continue encore aujourd’hui. J’essaye moi aussi d’être le plus pédagogue possible quand je croise des néophytes de l’argentique, en les invitant à s’y intéresser dans sa globalité : de la prise de vue au tirage final.

Lise Est-ce que tu as une idée de la suite : une exposition, un livre, un zine ?

Fakele Pas vraiment d’idée arrêtée pour l’instant. L’objectif, pour le moment, c’est surtout de récolter un maximum de matière : j’archiverais soigneusement tous les négatifs des portraits réalisés, mais aussi des informations sur les personnes photographiées, grâce à une fiche qu’elles remplissent pendant les quatres jours qui séparent notre rencontre de la remise de leur tirage.

Ces fiches me permettent de constituer un référentiel sur les profils des personnes qui empruntent ce chemin — avec des données factuelles comme l’âge, la profession, le lieu de vie… mais aussi des réponses plus personnelles à des questions ouvertes sur les raisons qui les ont poussées à marcher. Elles incluent également un contrat de droit à l’image, pour anticiper toute utilisation future des portraits.

En parallèle, j’emmène une caméra embarquée pour tenter des captations, à la fois vidéo et audio tout au long des 15 jours.

Pour la suite, j’espère trouver une structure qui aurait envie de s’associer au projet et de soutenir cette archive : un éditeur par exemple pour imaginer un objet éditorial, ou un partenaire culturel pour organiser une exposition avec toute cette matière. Ce qui est certain, c’est que j’aurai besoin/envie d’être accompagné. Ce projet de création est déjà très fastidieux , et je le mène entièrement seul — je ne pourrai pas imaginer la suite sans un soutien ou un relais, qu’il soit logistique ou financier.

Lise Où peut-on suivre l’avancée du projet cet été ? Et comment peut-on te soutenir ?

Fakele Pour en savoir plus sur ce projet, vous pouvez retrouver le dossier de présentation complet dans la bio de mon compte Instagram.

Pendant les 15 jours, je vais essayer de publier chaque jour une captation sonore issue d’un échange ou d’une rencontre. Une sorte de journal de bord sonore. C’est un vrai défi que je me lance, puisque le montage se fera depuis mon téléphone, chaque soir dans ma tente, après une journée intense de prises de vue et d’échanges.

Et pour la suite, je suis à la recherche d’un éditeur, de médias, de subventions, ou de toute personne ayant envie de m’accompagner pour imaginer la meilleure manière de faire vivre et de transmettre ce projet à la fois humain , artistique et hors normes.

Photo : Thibaut Godet

Montreuil Fantôme a été réalisée par Frédéric Uran qui à accompagné l'artiste Fakele à chacune des étapes de création du livre "montreuil fantôme"(éditions Cargo Lab)

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