
L'autoportrait selon Angélique Boissière
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Thomas App
8/24/20257 min read


Vous l’avez peut être croisée TLR à la main au détour du reflet d’un miroir. Depuis plusieurs années Angélique Boissière affine sa pratique de l’autoportrait en noir et blanc avec un Rolleiflex posé sur un trépied ou tenu à la main. Seule ou accompagnée, cette photographe semble venue d’une autre époque. Ses autoportraits travaillés jusqu’au moindre détail, semblent d’une simplicité déconcertante, tant ils nous plongent dans le reflet du quotidien.
On échange avec Angélique Boissière à l'occasion de la sortie de son livre Reflets à soi qui rassemble plus de 10 ans d'autoportraits
Thomas Qu'est ce qui t'a fait commencer l'autoportrait ?
Angélique J’ai commencé les autoportraits très jeune, à l’adolescence, simplement parce que je n’avais que moi sous la main. À l’époque, ce n’était pas lié à mon quotidien mais plutôt à mon identité d’adolescente et à ce besoin compulsif de créer des images dès que l’envie surgissait. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que j’ai commencé à réfléchir consciemment à ma pratique : pourquoi je faisais de la photo, pourquoi des autoportraits, et pourquoi de cette manière. Je cherche encore mes réponses… Je crois que j’aime que chacun puisse y trouver ses propres interprétations.


Thomas Pourquoi le choix de l'argentique ?
Angélique L’argentique m’aide à canaliser mes idées grâce à une contrainte essentielle : la limitation du nombre d’images. Avec le temps, j’ai compris que j’avais besoin de restrictions pour être créative : trop de temps libre ou trop de possibilités me paralysent. Au-delà de cet aspect psychologique, il y a le rapport concret et matériel : je développe moi-même mes négatifs, et cela rend ma pratique tangible, avec une saveur particulière à chaque photo réussie.
Enfin, j’ai toujours eu une attirance pour l’esthétique rétro, même si ce n’est pas mon mode de vie au quotidien. En photographie, l’argentique noir et blanc reflète bien mieux mon identité que le numérique.
Thomas Quel est ton rapport aux Réseaux Sociaux ? Qu'est ce que t'a apporté de poster ta production artistique sur le net sans avoir à devenir créatrice de contenu ?
Angélique Je crois que je n’ai rien publié depuis Janvier, ce qui en dit long sur mon détachement. Instagram m’a permis de faire connaître mon travail et m’a offert une certaine visibilité qui m’a donné confiance. Cela m’a aussi permis de concrétiser des projets de livres que je n’aurais jamais imaginés sans ce public. Mais avec le temps, les réseaux sociaux — Instagram en particulier — ont eu un effet négatif sur ma créativité et mon bien-être.
Pour les artistes, c’est un vrai poison : on nous pousse à être hyper-productifs, au point de culpabiliser si l’on ne publie rien de nouveau chaque semaine, par peur d’être oubliés au profit de profils plus actifs. Or, la vie d’un artiste est faite de cycles : des phases de création et des phases de réflexion, tout aussi essentielles. Aujourd’hui, beaucoup de photographes en quête de visibilité sont devenus, au fond, des créateurs de contenu plutôt que des artistes — deux choses très différentes à mes yeux.
Je n’ai jamais couru après l’algorithme ni les abonnés ; pour moi, les réseaux étaient simplement un espace où montrer mes images. Aujourd’hui, je m’en suis complètement détachée et je m’en porte mieux, et je rêve presque d’un monde où les réseaux seraient devenus ringards, où l’on reviendrait en arrière.


"La photographie reste pour moi une évasion, avec beaucoup de légèreté"
Thomas Considères tu ton travail comme féministe ?
Angélique On me pose souvent cette question, sans doute parce que je suis une femme et que je fais des autoportraits. Bien que je me considère évidemment féministe, ce n’est pas le moteur de mon travail. La photographie reste pour moi une évasion, avec beaucoup de légèreté. Je ne suis pas une photographe engagée, ce n’est pas dans ma nature.
Cela dit, documenter mon quotidien, me mettre en scène avec mes doutes et mes questionnements, ou simplement jouer entre le réel et la fiction à travers mes autoportraits, est peut-être, au fond, une forme de féminisme : celle de s’affirmer en tant que femme. Ce n’est au fond, pas si facile.
Thomas Peux tu nous parler de ton livre Reflets à soi : qu'est ce qui te motive à passer au format livre d'art ?
Angélique Reflets à soi est mon troisième livre, et rassemble près de dix ans d’autoportraits. Les deux précédents — Marées (2018) et Soie (2021) — présentaient d’autres sujets, modèles et paysages. Le livre d’art est devenu pour moi l’aboutissement naturel de mes projets de longue haleine. Comme le négatif, il rend ma pratique tangible et permet à un public international d’accéder à des images inédites, souvent absentes d’internet, surtout pour les autoportraits. Rendre accessible mon travail est une façon de remercier les personnes qui le soutiennent. Avec ma formation initiale de graphiste, concevoir un livre, même sobre pour la photographie, est un exercice créatif à part entière qui me passionne. Mais c’est aussi un engagement conséquent : il faut environ un an et demi entre les premières réflexions et la livraison des exemplaires. Ainsi, lorsque je passe à l’étape du livre, je sais que je ne ferai plus de photos pendant un certain temps, mais cela donne tellement de sens à ma pratique.
Thomas Pourquoi ce titre ?
Angélique Il y a plusieurs raisons. Reflets à soi fait écho au titre Une chambre à soi de Virginia Woolf, dans lequel elle explique qu’une femme a besoin « d’un peu d’argent et d’une chambre à soi » pour créer. Ma « chambre » était mon ancien appartement, lieu de création quotidien où la plupart des autoportraits ont été réalisés. La série s’est achevée quand je l’ai quitté définitivement.
« Reflet » renvoie évidemment aux miroirs, témoins de mes états d’âme au fil des jours.
« Soi » évoque ma propre image, mais aussi un clin d’œil à mon précédent livre "Soie", comme une continuité.


Thomas Tes portraits semblent à la fois simple et extrêment maîtrisés, peux-tu expliquer comment tu en es arrivé à ce degré de virtuosité ?
Angélique Je suis souvent la première surprise d’obtenir des images aussi nettes, étant de nature brouillonne. Je prépare très peu mes séances ; tout part de l’impulsion et de la compulsion, avec l’inévitable maladresse de l’urgence. Je ne suis pas quelqu’un de méthodique, et je possède peu de connaissances techniques en photographie, cela ne m’intéresse pas vraiment. Ma « maîtrise », si je puis dire, vient uniquement de mon regard et de ce que l’instinct me dicte.


Thomas Ce qui est marquant surtout c’est à quel point tout semble calme et naturel, saurais tu expliquer pourquoi c’est ce qui dégage de ces auto-portraits ?
Angélique Mes photos sont le reflet de ma personnalité : je parais calme, même au milieu de tempêtes intérieures. La photographie, comme toute activité créative que je pratique, m’apporte à la fois un apaisement et une tension. L’acte de créer fait taire le brouhaha mental, me connecte au présent et dissipe temporairement mes angoisses. La tension, elle, vient de la concentration, presque comme une chasse.
Le naturel vient aussi du fait que mes images le sont réellement : très peu de mises en scène, parfois un changement de tenue pour varier, mais le décor reste tel quel, avec ses imperfections et son désordre. C’était mon appartement, avec sa vie. C’était aussi mon premier « appartement d’adulte », synonyme de liberté et donc de créativité. Après l’avoir quitté, je l’ai conservé quelques mois pour y faire encore des autoportraits, vide cette fois : les images sont alors plus dépouillées, plus construites, et peut-être encore plus calmes.
"Je parais calme, même au milieu de tempêtes intérieures"





Reflets à soi
Un livre de 168 pages, couverture rigide, 25x25cm
Signé, édité à 1000 copies par Angélique Boissière

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